Mi don huuwa haa Mouda.

Publié le par Benjamin DURIEZ

(Je travaille à Mouda.)  
    Parlons travail!

    Deux mois que je suis ici et je ne parle dans ces lignes que de tourisme, de bière, de football, de rencontres, mises à part une ou deux allusions à de mystérieux rendez-vous, d'épais dossiers pour des projets et un emploi du temps quotidien où apparaissent des plages horaires réservées au "boulot"...
    Concrètement, Benjamin que fais-tu?

    Première chose, je ne fais pas rien. C'est déjà pas mal. Deuxième chose, je fais le maximum. Et je travaille presque 7j/7... entre deux sorties touristiques, deux bières, deux matches de foot.

    Mon titre officiel et pompeux à la Fondation Bethléem de Mouda est "Responsable recherche de financements". Ca nous avance beaucoup. Alors, en détail que peut-on expliquer?
    Et bien, la Fondation est une structure immense qui travaille principalement dans l'accueil et la rééducation d'enfants handicapés (orthopédie, surdité, retard). Elle cherche à accroître son oeuvre dans le développement rural : eau potable, construction d'écoles, électrification. Au total, 2.000 enfants aidés... Sans complexe, ce n'est pas pour rien qu'elle est reconnue d'utilité publique (et sans arroser de ministres).

    Si l'on se penche sur la problématique de l'accès à l'eau potable... Depuis 2005, une unité hydraulique est ouverte et des puits et forages sont réalisés, une pompe étiquetée Fondation a été brevetée grâce à un ingénieur italien. Mon "partenaire" le Père Danilo, fondateur de l'association camerounaise, veut que cette partie de son action soit accrue. Des villages se présentent donc pour dire qu'ils souhaitent un forage (45m) ou un puits (20m). J'ai mis au point un questionnaire pour qu'ils nous donnent le maximum d'informations et qu'ainsi la recherche des bailleurs de fonds et surtout le montage du dossier soit facilités. Cela permet aussi de vérifier la pertinence de la demande. Une participation financière de la population selon l'ouvrage "commandé" est requise. La Fondation apporte son savoir-faire, le matériel, et je cherche l'argent pour payer le tout. Et pour faire un forage, il faut 7 millions de francs CFA (un peu plus de 10.000€). Ensuite, dans la recherche, il faut s'adapter à l'interlocuteur nanti, c'est-à-dire que s'il s'agit de l'Union Européenne, on peut élaborer tout un programme pour qu'une large zone bénéficie de l'eau. Pour des bailleurs plus petits, il vaut mieux demander un ou deux forages, selon leur "surface financière" tout simplement. Bref, on ne peut jamais leur soumettre un dossier-type.

    Pour le projet pisciculture, avec Jérôme... Là, il fait beaucoup de choses lui-même, surtout pour bâtir le projet, les données techniques, les travaux nécessaires. Je l'aide dans la recherche de financements pure, c'est-à-dire le montage du dossier (au niveau formel), contacter les personnes susceptibles de s'intéresser au projet, prendre des rendez-vous à Yaoundé, chercher aussi en Europe par l'intermédiaire d'associations locales qui nous représentent pour remplir les conditions. J'établis donc des partenariats.
    Ce projet a pour but de fournir du poisson frais aux orphelins de la Maison Daniel Brottier de Maroua (chez Thierry et Martine, déjà mentionnés) et à tous les enfants de la Fondation. Ainsi leur alimentation s'améliore, la Fondation fait d'importantes économies, on vend une partie et on fait aussi de la formation pour que les gens des villages connaissent un peu l'élevage de poissons pour produire eux-mêmes et que leur village en bénéficie. Dans une région où l'eau manque, ce projet est complètement novateur.

    Je travaille encore dans le domaine des constructions d'écoles. La Fondation parraine des enfants (surtout des filles) afin qu'ils puissent être scolarisés. Quand beaucoup d'enfants sont en âge de fréquenter, il devient nécessaire de faire un école si l'Etat ne fait rien. Un chiffre pour rire ou pleurer à ce sujet : en 2007 exercice en cours, l'Etat a financé la construction de 186 salles de classe ; le besoin selon l'état des lieux est de... 36.000 (pour avoir des classes avec une moyenne de 60 élèves)! Donc l'action privée est évidemment nécessaire. De plus, les problèmes de gouvernance (comprenez corruption), font que l'Etat fixe le prix à 15 millions de francs sans les meubles quand la Fondation construit aussi bien et meuble pour 10 millions... Les professeurs ne sont pas payés en général, cette charge revient aux parents. Donc je cherche (pour le moment de loin) des ONG finançant ces constructions.

    Ensuite, j'essaie d'aider à Maroua un centre d'accueil de jour pour 19 enfants lourdement handicapés mentaux et autistes (appartenant aussi à la Fondation). Beaucoup d'histoires sordides... Les parents n'attendent qu'un chose souvent, c'est la mort de leur enfant car il représente le diable et ils préfèrent le cacher. Un travail de sensibilisation est nécessaire et ce centre cherche quelques petites choses (bâtiments, véhicule, parrains) pour améliorer son fonctionnement. Une Italienne dirige ce Centre Shalom.

    Enfin, je suis surtout en ce moment en train d'aider le Centre Privé de Formation des Aveugles de Maroua. Ce centre doit déménager car les bâtiments prêtés veulent être récupérés, il manque beaucoup de matériel... C'est un aveugle qui en est à l'origine. Aucune autre structure n'existe avant Yaoundé (24h de transports). Il s'agit de les accueillir en internat, de leur enseigner la mobilité et le braille avant tout. Pour les plus jeunes, une formation préscolaire en 3 ans est dispensée avant de les intégrer à l'école classique pour qu'ils aient ensuite les mêmes chances que les valides. Pour les plus grands, une formation professionnelle est visée en 2 ans. En vannerie pour le moment, plus en maraîchage et élevage porcin lorsque le nouveau terrain acquis sera bâti. Ainsi, ils ont les outils pour vivre en autonomie. Il y a beaucoup de mendicité pour cette catégorie de la population. Et une sensibilisation de la population est à mettre en oeuvre pour que le regard change et passe de la pitié au respect. Ce dossier est presque fini pour moi. Il faut maintenant convaincre...

    Pour être clair, en fait, quand on "monte" le dossier, il faut montrer l'intérêt de l'action, l'expérience du porteur, l'impact du projet et sa pérennité. Beaucoup de questions sont à poser pour que les gens qui portent ces associations m'expliquent les choses, pour rassembler des infos pour expliquer l'état des lieux, élaborer les budgets prévisionnels. J'apprends à manier le chronogramme, le cadre logique, les études de marché (sommaires). C'est vraiment intéressant. J'espère réussir à rassembler quelques fonds. Et lorsque c'est fait, il faut faire attention au suivi pour que le bailleur garde confiance et sache comment l'argent est utilisé.
    Pour mes cibles, il s'agit des ambassades, des ONG diverses, des collectivités, des clubs-services, de l'Etat camerounais pour qu'il joue son rôle aussi non?

    Lorsque j'aurai déposé ces dossiers, je serai plus disponible pour faire d'autres choses utiles à la Fondation (améliorer la comptabilité, le rendement de la ferme, participer aux animations pour les enfants). Et puis je rencontre sans cesse des gens qui ont des projets divers (associatifs ou commerciaux)... J'essaie de me rendre disponible (souvent dans les bars!) pour délivrer quelques conseils, surtout pour insuffler une certaine rigueur dans la réflexion et l'action.

    Et dernière chose... en rapport avec ce (petit) travail subsidiaire de micro conseil... La Fondation accueille aussi à Mouda où je vis une centaine de jeunes apprentis déscolarisés qui se forment durant deux ans dans un atelier d'artisanat (maçonnerie, menuiserie, soudure, maroquinerie, couture, teinture...). On m'a demandé de devenir professeur d'économie familiale et de gestion. Le premier cours était la semaine dernière. Prise de contact (questionnaire)... pour vérifier ce qu'on m'avait annoncé. Ce sera difficile : 60 personnes en 1ère année, 3 ne comprenant pas le français ; 40 élèves en 2ème année, 4 sourds, plus 2 filles ne sachant pas écrire malgré l'alphabétisation en première année. Ils ont entre 15 et 22 ans, niveau scolaire moyen CM2 (allant de jamais fréquenté à la 3ème au collège). Je vais donc apprendre à écrire au tableau, à parler simplement.... et surtout je vais apprendre ce qu'est l'économie familiale! Gestion des dépenses, des recettes, des ressources naturelles... Et aussi comment monter son atelier d'artisanat une fois de retour au village (financements, tenir le cahier de caisse, utiliser l'argent...). Je deviens bon à marier ensuite non?
    Je suis très motivé car il faut vraiment faire comprendre l'importance de cette partie de leur formation. Pour avoir rencontré quelques anciens de Mouda lors d'une animation par un volontaire français (Arnaud), je sais que s'ils n'en retiennent rien, soit ils n'utiliseront jamais leurs compétences, soit ils n'arriveront pas à créer quelque chose de viable et bénéficiaire. Alors quel défi excitant!
    Mon premier cours m'a épuisé...
    Je suis très heureux de cette deuxième activité car elle me permet de compléter par de la formation le travail effectué pour le financement des projets. Le développement passe aussi par un transfert de connaissances, de compétences et de méthodes. En adaptant bien entendu (à la culture, à l'échelle)!


    Ainsi vous en saurez un peu plus sur mon rôle ici, mes petits tracas professionnels et l'action de la Fondation.
  Encore désolé de moins écrire sur ces pages, mais ce n'est pas une blague, je travaille ici! Et quel enrichissement... et les projets que je défends sont sincèrement utiles et profitables pour la population.

    Ciao!

Publié dans Mission

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